• Nous refusons le projet de loi CESEDA que prepare le gouvernement sur l'immigration ! De nombreuses associations reunis au sein du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable (dont Act Up-Paris) lance cette petition. Aidez-nous a la diffuser, signez-la et faites signer votre entourage. Votre soutien est important (...)



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  • La Conscience





    Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
    Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
    Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
    Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
    Au bas de la montagne en une grande plaine;
    Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
    Lui dirent : "Couchons-nous sur la terre, et dormons."
    Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
    Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
    Il vit un oeil grand ouvert dans les ténèbres
    Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
    "Je suis trop près", dit-il avec un tremblement.
    Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
    Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
    Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
    Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
    Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
    Sans repos, sans sommeil ; il atteignit la grève
    Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
    "Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
    Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes."
    Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
    L'oeil à la même place au fond de l'horizon.
    Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
    "Cachez-moi !" cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche,
    Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
    Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
    Sous des tentes de poil dans le désert profond:
    "Étends de ce côté la toile de la tente."
    Et l'on développa la muraille flottante;
    Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb:
    "Vous ne voyez plus rien ?" dit Tsilla, l'enfant blond,
    La fille de ses fils, douce comme l'aurore;
    Et caïn répondit : "Je vois cet oeil encore !"
    Jubal, père de ceux qui passe dans les bourgs
    Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
    Cria : "Je saurais bien construire une barrière."
    Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
    Et Caïn dit : "Cet oeil me regarde toujours !"
    Hénoch dit : "Il faut faire une enceinte de tours
    Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
    Bâtissons une ville avec sa citadelle,
    Bâtissons une ville, et nous la fermerons."
    Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
    Construisit une ville énorme et surhumaine.
    Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
    Chassaient les fils d'Énos et les enfants de Seth ;
    Et l'on crevait les yeux de quiconque passait ;
    Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
    Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
    On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
    Et la ville semblait une ville d'enfer ;
    L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
    Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
    Sur la porte on grava : "Défense à Dieu d'entrer."
    Quand ils eurent fini de clore et de murer,
    On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
    Et lui restait lugubre et hagard. "Ô mon père !
    L'oeil a-t-il disparu ?" dit en tremblant Tsilla.
    Et Caïn répondit : "Non, il est toujours là".
    Alors il dit : "Je veux habiter sous terre
    Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
    Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien."
    On fit donc une fosse, et Caïn dit : "C'est bien !"
    Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
    Quand il se fut assis sur une chaise dans l'ombre
    Et que l'on eut sur son front fermé le souterrain,
    L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.



    Victor Hugo



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  • Soleil éphémère

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  • ACTE I, SCÈNE PREMIÈRE


    Polyeucte - Néarque


    Néarque
    Quoi ? Vous vous arrêtez aux songes d'une femme !
    De si faibles sujets troublent cette grande âme !
    Et ce cœur tant de fois dans la guerre éprouvé
    S'alarme d'un péril qu'une femme a rêvé !


    Polyeucte

    Je sais ce qu'est un songe, et le peu de croyance
    Qu'un homme doit donner à son extravagance,
    Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit
    Forme de vains objets que le réveil détruit.
    Mais vous ne savez pas ce que c'est qu'une femme,
    Vous ignorez quels droits elle a sur toute l'âme,
    Quand après un long temps qu'elle a su nous charmer
    Les flambeaux de l'Hymen viennent de s'allumer.
    Pauline sans raison dans la douleur plongée
    Craint et croit déjà voir ma mort qu'elle a songée,
    Elle oppose ses pleurs au dessein que je fais,
    Et tâche à m'empêcher de sortir du Palais ;
    Je méprise sa crainte, et je cède à ses larmes,
    Elle me fait pitié sans me donner d'alarmes,
    Et mon cœur attendri sans être intimidé
    N'ose déplaire aux yeux dont il est possédé.
    L'occasion, Néarque, est-elle si pressante,
    Qu'il faille être insensible aux soupirs d'une amante ?
    Par un peu de remise épargnons son ennui,
    Pour faire en plein repos ce qu'il trouble aujourd'hui.


    Néarque

    Avez-vous cependant une pleine assurance
    D'avoir assez de vie, ou de persévérance,
    Et Dieu, qui tient votre âme, et vos jours dans sa main,
    Promet-il à vos vœux de le pouvoir demain ?
    Il est toujours tout juste et tout bon, mais sa grâce
    Ne descend pas toujours avec même efficace :
    Après certains moments que perdent nos longueurs,
    Elle quitte ces traits qui pénètrent les cœurs,
    Le nôtre s'endurcit, la repousse, l'égare,
    Le bras qui la versait en devient plus avare,
    Et cette sainte ardeur qui doit porter au bien
    Tombe plus rarement, ou n'opère plus rien.
    Celle qui vous pressait de courir au baptême
    Languissante déjà, cesse d'être la même,
    Et pour quelques soupirs qu'on vous a fait ouïr,
    Sa flamme se dissipe, et va s'évanouir.


    Polyeucte

    Vous me connaissez mal, la même ardeur me brûle,
    Et le désir s'accroît quand l'effet se recule.
    Ces pleurs que je regarde avec un œil d'époux
    Me laissent dans le cœur aussi chrétien que vous ;
    Mais pour en recevoir le sacré caractère
    Qui lave nos forfaits dans une eau salutaire,
    Et qui purgeant notre âme, et dessillant nos yeux,
    Nous rend le premier droit que nous avions aux Cieux,
    Bien que je le préfère aux grandeurs d'un Empire,
    Comme le bien suprême et le seul où j'aspire,
    Je crois, pour satisfaire un juste et saint amour,
    Pouvoir un peu remettre, et différer d'un jour.


    Néarque

    Ainsi du genre humain l'ennemi vous abuse,
    Ce qu'il ne peut de force, il l'entreprend de ruse.
    Jaloux des bons desseins qu'il tâche d'ébranler,
    Quand il ne les peut rompre, il pousse à reculer :
    D'obstacle sur obstacle il va troubler le vôtre,
    Aujourd'hui par des pleurs, chaque jour par quelqu'autre ;
    Et ce songe rempli de noires visions
    N'est que le coup d'essai de ses illusions :
    Il met tout en usage, et prière, et menace,
    Il attaque toujours, et jamais ne se lasse,
    Il croit pouvoir enfin ce qu'encore il n'a pu,
    Et que ce qu'on diffère est à demi rompu.
    Rompez ses premiers coups, laissez pleurer Pauline,
    Dieu ne veut point d'un cœur où le Monde domine,
    Qui regarde en arrière, et douteux en son choix,
    Lorsque sa voix l'appelle, écoute une autre voix.


    Polyeucte

    Pour se donner à lui faut-il n'aimer personne ?


    Néarque

    Nous pouvons tout aimer, il le souffre, il l'ordonne,
    Mais à vous dire tout, ce Seigneur des Seigneurs
    Veut le premier amour, et les premiers honneurs.
    Comme rien n'est égal à sa grandeur suprême,
    Il faut ne rien aimer qu'après lui, qu'en lui-même,
    Négliger pour lui plaire, et femme, et biens, et rang,
    Exposer pour sa gloire, et verser tout son sang :
    Mais que vous êtes loin de cet amour parfait
    Qui vous est nécessaire, et que je vous souhaite !
    Je ne puis vous parler que les larmes aux yeux,
    Polyeucte, aujourd'hui qu'on nous hait en tous lieux,
    Qu'on croit servir l'État quand on nous persécute,
    Qu'aux plus âpres tourments un Chrétien est en butte,
    Comment en pourrez-vous surmonter les douleurs,
    Si vous ne pouvez pas résister à des pleurs ?


    Polyeucte

    Vous ne m'étonnez point, la pitié qui me blesse
    Sied bien aux plus grands cœurs, et n'a point de faiblesse.
    Sur mes pareils, Néarque, un bel œil est bien fort,
    Tel craint de le fâcher qui ne craint pas la mort,
    Et s'il faut affronter les plus cruels supplices,
    Y trouver des appas, en faire mes délices,
    Votre Dieu, que je n'ose encor nommer le mien,
    M'en donnera la force en me faisant Chrétien.


    Néarque

    Hâtez-vous donc de l'être.


    Polyeucte

    Oui, j'y cours, cher Néarque,
    Je brûle d'en porter la glorieuse marque,
    Mais Pauline s'afflige, et ne peut consentir,
    Tant ce songe la trouble, à me laisser sortir.


    Néarque

    Votre retour pour elle en aura plus de charmes,
    Dans une heure au plus tard vous essuierez ses larmes,
    Et l'heur de vous revoir lui semblera plus doux,
    Plus elle aura pleuré pour un si cher époux.
    Allons, on nous attend.


    Polyeucte

    Apaisez donc sa crainte,
    Et calmez la douleur dont son âme est atteinte.
    Elle revient.


    Néarque

    Fuyez.


    Polyeucte

    Je ne puis.


    Néarque

    Il le faut,
    Fuyez un ennemi qui sait votre défaut,
    Qui le trouve aisément, qui blesse par la vue,
    Et dont le coup mortel vous plaît quand il vous tue.



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